• L'Éducation nationale : une tribu bien étrange ...

    La quasi-totalité des enseignants n’a jamais quitté et ne quittera jamais l’Ecole : école maternelle d’abord, puis école primaire, collège, lycée, fac, et enfin entrée en tant que professionnel à l’Education nationale et ce jusqu’à la retraite …

    Alors quand se présentent de futurs enseignants qui ont déjà une solide expérience professionnelle de 10 voire 20 ans hors Education nationale, se produit un choc quasi ethnologique. Car vu d’un regard extérieur, l’EN apparait comme une tribu bien étrange …

    Son Totem : le doute permanent qui se veut preuve de réflexion...
    Son Calumet : le débat, véritable opium du monde enseignant qui privilégie les questions au détriment des réponses, les arguments au détriment d’une validation par des protocoles non contestables...
    Sa Danse de la pluie : l’innovation pédagogique qui prétend faire avancer l’Ecole...
    Ses Mythes : quelques hérauts qui se maintiennent envers et contre tout, alors que leurs apports réels ne se traduisent que par des bilans pour le moins mitigés...

    Une tribu bien étrange donc , mais aussi du point de vue de la sociologie de Pierre Bourdieu, un champ c’est-à-dire « un système spécifique de relations objectives qui peuvent être d’alliance et/ou de conflits, de concurrence et/ou de coopération, entre des positions différenciées, socialement définies, largement indépendantes des agents physiques qui les occupent… … Quel que soit le champ, on y trouvera différentes instances destinées à établir l’ordre symbolique en menant la lutte pour imposer les classements légitimes, c’est-à-dire pour tracer les frontières entre pratiques dominantes et pratiques dominées … L’activité symbolique de légitimation qui s’exerce principalement par le moyen du langage a pour effet d’euphémiser les rapports de force en les couvrant d’une étiquette honorable et d’interdire du même coup tout autre définition de ces rapports. »
     

    Ainsi, tout nouvel entrant dans le champ éducatif va pouvoir se construire une stratégie en jouant sur deux archétypes :

    • Le refus d’entrer dans les rapports de force. Dans ce cas, le nouvel entrant va construire une stratégie d’équilibre : en échange de son travail, de ses compétences, il va recevoir du champ une part du capital économique (un salaire), une part du capital culturel et une dernière part du capital social (ressources qui sont liées à l’appartenance au groupe).
    • La volonté d’accéder aux positions de domination concrètes ou symboliques. Il s’agit alors de comprendre les règles du jeu en cours dans le champ, de les intégrer, tout en se construisant et en entretenant des réseaux qui vont ensuite favoriser la cooptation.

    Mais une troisième voie, plus rarement empruntée, est possible : il s’agit de percevoir les règles du jeu mais de les refuser et de tracer un autre chemin, au risque d’être ignoré, rejeté. Cette stratégie vise à une déstabilisation, légère, du champ non pour le détruire, mais pour faire bouger les rapports de domination. Il est sans conteste plus facile d’emprunter cette troisième voie pour des enseignants ayant eu une vie professionnelle en dehors de l’Ecole, non par des qualités spécifiques qui leur seraient propres, mais simplement grâce à leurs parcours atypiques.
     

    Quand on a opté pour cette stratégie, faut-il la dévoiler ? Du point de vue du court terme, cela peut conduire à se « griller » et donc à réduire ses chances de faire passer ses convictions. Mais à long terme, dévoiler sa stratégie, c’est aussi faire le pari que les acteurs du champ sauront, maintenant ou plus tard, se comporter en interlocuteurs à qui l’on peut exposer ses motivations pour jouer « franc-jeu » sans obtenir en retour un rejet qui, même s’il est compréhensible, ne peut se légitimer.
     

    Ma stratégie, je la dévoile donc :  

    • Gagner une crédibilité qui s’appuie non sur un statut (je n’ai jamais cherché à être autre chose que Professeur des Ecoles) ou sur la production de discours, mais sur des actes. - Un parcours estimable. Facteur à la Poste, sans le Bac, j’ai repris des études à l’âge de 38 ans pour pouvoir me présenter au concours de Professeur des écoles. - Un investissement professionnel incontestable. J’ai publié un grand nombre d’articles pédagogiques dans La Classe, les Cahiers pédagogiques, l’Ecole aujourd’hui, Education et devenir, la Journée du refus de l’échec scolaire, Actions Santé et j’ai participé à deux forums des enseignants innovants organisés par le Café pédagogique.
       
    • Ne prendre parti pour aucune des « positions » dans le champ en espérant tendre vers une certaine forme de neutralité, ces tribunes concernant tout à la fois l’Institution, la hiérarchie, les formateurs, les enseignants et même les enfants …
       
    • Ne chercher ni à débattre, ni à convaincre, ni même à obtenir un consensus, mais simplement à apporter un témoignage sans autocensure et proposer des alternatives.
       

    J’aurai fait ce que j’ai à faire, ce qu’il en adviendra ensuite ne dépend plus de moi …